Le château d’eau, parent génial?
Le type de la tour
Le château d’eau dans son appellation possède quelque chose d’étonnant qui frôlerait presque le ridicule. Jean-Yves Jouannais en parle dans son livre intitulé Prolégomènes à tout château d’eau. Pour lui, il y a une fausseté claire dans cette nomination qu’il compare avec « château de sable » qui a au moins la cohérence qu’ils sont en effet en sable. La désignation château d’eau apparaît comme issue d’un langage enfantin totalement imprécis et mystérieux, suivant cette logique, une gare aurait pour nom « cathédrale du rail » et un cimetière serait « volière des âmes ». C’est sans doute ce mystère ainsi que le regard paradoxal, qui oscille entre l’indifférence et le repère de nos souvenirs qu’on lui porte, qui fait des châteaux d’eau une architecture poétique.
Un château d’eau est un objet architectural technique répondant à une fonction : élever. Sa dominance verticale fait de lui un édifice isolé et c’est d’ailleurs sa caractéristique principale au sein du paysage. C’est en partant de cette fonction élever, du latin elevare et signifiant « porter quelque chose plus haut », que l’on se rend compte que le château d’eau n’est finalement qu’un élément faisant partie d’une grande famille. Que ce soit les belvédères, les phares, les tours ainsi que les antennes, tous ont en commun d’être des objets techniques répondant à la même fonction.
Si il est aisé de classer les châteaux d’eau au sein d’une famille, il est assez clair qu’ils apparaissent comme des ouvrages beaucoup plus riche et complexes que leurs congénères. On peut de toute évidence les identifier à une tour, ils n’ont pour le reste rien à voir avec les autres membres de la famille. Il suffit de voir la définition donnée dans l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers et de constater qu’en plus de sa spécificité de contenir un réservoir (objet technique), c’est un élément qui participe à la décoration de la ville. On lui attribue une double fonction qui sous-entend une grande complexité : c’est un objet technique décoratif, ce qui est assez inhabituel. Le château d’eau est également un élément symbole porteur de la vie, il est situé généralement au coeur des villes (pour des raisons économiques) et entretient une relation particulière avec les habitants. Cette proximité rassurante et en même temps mystérieuse pour la plupart des gens est typique de ces tours d’eau. Elles ponctuent notre paysage et sont les témoins de notre passé. Les dimensions techniques et les nombreuses contraintes qui les régissent en font des ouvrages hors du commun.
L’exception du château d’eau se fait selon des dimensions esthétique, paysagère, sociale et symbolique. Il est avant tout une silhouette que l’on arrive à identifier au loin. Son emplacement dépend de différentes caractéristiques techniques et on recherche à le placer le plus haut possible au sein du paysage local. Qu’il soit intégré au tissu urbain ou qu’il s’en démarque nettement, il caractérise le paysage. Sa silhouette issue de typologies diverses lui donne une forte tendance à rayonner, c’est-à-dire que la masse que constitue la cuve que l’on élève et que l’on arrache de terre irradie de par sa forme concentrique. On assimile souvent les châteaux d’eau à la source, en tant que générateur d’eau potable, il symbolise pour tous l’abondance de l’approvisionnement. Il est difficile d’imaginer un château d’eau sans eau et sinon, comment le savoir ? Il rappelle la vision d’une qualité de vie garantie, d’un territoire où l’homme s’est installé durablement. C’est un objet significatif. On en retrouve des traces dans des chansons ou des poésies, comme s’il s’agissait d’une curiosité plantée et intégrée au milieu d’une verdure luxuriante qui appellerait à la description littéraire. Cependant, d’une façon paradoxale, les châteaux d’eau sont aussi sujets à un certain mépris, comme s’ils généraient une certaine gêne de par leur côté énigmatique et isolé. Ce caractère a néanmoins permis à des artistes comme le couple Becher de les révéler dans toute leur intégrité pour en extraire une certaine poésie. Outre cela, il faut souligner qu’ils ont révolutionné le mode de vie et la santé publique. L’eau, les structures sanitaires ainsi que l’éducation de base sont trois vecteurs essentiels permettant d’assurer un équilibre au développement d’une population. Il est clair que si aujourd’hui nous pouvons vivre sans nous soucier de notre consommation en eau, c’est grâce aux châteaux d’eau en tant que maillon indispensable dans le circuit de distribution.
Symboliquement il représente la source dont notre confort et notre survie dépendent. L’idée de préservation qui est de plus en plus d’actualité pour des raisons de durabilité nous rappelle la symbolique du grenier, qui apparaît comme lieu de conservation et de protection des ressources alimentaires (ici de l’eau). Finalement il s’agit d’une manifestation terrestre qui est un point de rencontre. La symbolique ainsi que la poésie de ces ouvrages est très bien mise en avant dans plusieurs films comme Bagdad Café, où le château d’eau intervient en tant qu’élément vital et point de rencontre, L’Evadé d’Alcatraz, où il représente l’affranchissement, Gilbert Grape, où il est un point culminant, interface entre les êtres terrestres et les êtres célestes.
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